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Fait religieux en entreprise : un retour d’expérience

Nous avons été sollicités il y a quelques mois pour une médiation « classique » entre une salariée et son employeur. L’objet du désaccord réside sur le port d’un « couvre-chef » par la salariée en question.

Madame F. ne couvrait pas sa chevelure au moment de son embauche, elle en a fait le choix il y a quelques années pendant un congé maternité. À son retour, elle en a parlé à son manager qui a donné son accord pour le faire également sur son lieu de travail. La collaboratrice fait par ailleurs le choix de ne pas porter un voile traditionnel mais une sorte de petit bonnet en tissu couvrant ses cheveux et ses oreilles, « plus discret » à ses dires. Cet objet peut être de différentes couleurs sobres, parfois avec des perles ou des strass brodés dessus.

Cette salariée reçoit de la clientèle en face à face, dans le secteur tertiaire. Elle a d’excellents résultats, est appréciée par ses collègues et ses clients, aucune difficulté n’est à remarquer.

Depuis, le manager de proximité a changé et la relation avec son responsable actuel est plus distante, il y a moins de confiance. La prise de poste de ce responsable a été difficile, plusieurs tensions ont éclaté avec l’équipe.

Un jour, un client connu et réputé « difficile » fait une réclamation concernant le point de vente en question et lors de son appel il évoque « des salariées voilées » sans que ceci ne soit cependant l’objet de son mécontentement. Dans le cadre du traitement de cette réclamation, Madame F. est rencontrée par le service RH qui lui propose soit de découvrir ses cheveux quand elle est à son poste, soit de passer sur une fonction sans interface client. Madame F., choquée, refuse. Elle aime son poste, son « couvre-chef » n’a jamais posé problème, elle ne voit pas pourquoi elle devrait changer de code vestimentaire ni d’emploi suite à la plainte d’un client connu qui ne la concerne même pas.

L’employeur, lui, est décidé à trouver une solution ; très partagé entre l’envie de soutenir et garder cette collaboratrice qui donne satisfaction mais craignant le « buzz » en interne et un « effet de contagion » ou de « revendication » parmi les collaboratrices. Le Directeur Général suit la situation de près lui-même, inquiet que la presse puisse s’en saisir. En effet, expliquant être « très attachés à la notion de laïcité », l’enjeu sur la marque employeur serait forte.

Pendant la médiation, nous explorons les représentations des parties et historique de la situation, afin de comprendre ce qui se joue dans ce désaccord et ce qu’il sous-tend. Du côté de la salariée apparait un fort sentiment de trahison : pourquoi l’entreprise, au lieu de la défendre, a « pris parti » pour le client difficile ? Pourquoi revenir sur cette autorisation alors que son couvre-chef n’a jamais posé problème ? Au contraire ! dit-elle, « les clients aiment bien faire des blagues sur la couleur du jour, on en parle ils posent des questions, ça crée du lien ». Et si c’était un problème, alors pourquoi son responsable ne lui en a jamais parlé ? Si elle est appréciée par son employeur, pourquoi est-ce que cette situation est « montée » directement jusqu’au service RH ? Madame dit comprendre la situation de l’employeur et ne pas lui en vouloir, raison pour laquelle elle ne s’est pas adressée aux représentants du personnel ni envisagé une démarche pour discrimination, ce qu’elle considère à ce stade être le fond de la situation.

La médiation dans une situation comme celle-ci a comme objet également de donner des éléments de compréhension sur le cadre, légal et organisationnel, et de resituer les choses dans leur contexte social et culturel sans porter de jugement. Nous avons ainsi abordé et clarifié assez sereinement la question de la neutralité en entreprise (ici pas inscrite dans le règlement intérieur que nous avons consulté ensemble), définit les contours de termes comme « discrimination » ou « racisme ». Nous évoquons ensemble les stéréotypes et crispations actuelles autour du sujet du voile en France et Madame F. peut évoquer la fatigue que ça lui procure dans le quotidien d’entendre des questions type : « c’est ton mari qui t’a demandé de le porter ? ».

Une fois que ces éléments ont pris leur juste place dans le contexte, d’autres questions plus structurelles commencent à faire surface : la relation entre Madame F. et son responsable actuel, sa progression de carrière, son équilibre temps personnel / temps professionnel, l’enjeu pour elle en tant que mère dans cette situation et « l’exemple qu’elle veut donner à sa fille ». Du côté de l’organisation il en va de même : la réflexion s’enclenche sur l’évolution du métier de chargé de clientèle, la politique de la relation client, la formation des managers, des paradoxes et certaines incongruences dans le cadre posé aux collaborateurs.

La médiation s’arrête autour de l’accord d’accompagner l’équipe du point de vente en entier, où la tension est collective depuis l’arrivée du nouveau responsable. L’employeur s’engage à proposer en parallèle un accompagnement RH à Madame F. incluant notamment des périodes d’immersion dans différents postes afin d’en trouver un qui coïncide avec ses contraintes, motivations et perspectives de carrière à long terme.

Au niveau organisationnel cette situation a permis de lancer une réflexion à la Direction sur le positionnement concernant l’expression du fait religieux au sein de l’entreprise, de le clarifier dans un premier temps puis de formaliser un petit guide à l’attention des managers à moyen terme.

Parwa Mounoussamy

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